… Marta : Mais bien-sûr qu’elle viendra ! Dès qu’elle aura un petit moment de libre, ne te l’ai -je pas dit ? Mais pour elle aussi, imagine quel plaisir ce serait de rester ici avec nous… avec toi, depuis tout ce temps…Ça fait combien d’années ? tellement, tellement… Ah, mon petit, j’ai l’impression que c’était il y a une éternité … J’ai vu tant et tant de choses… des choses qui … qui ne me paraissent pas vraies. Je ne l’aurai pas cru, si quelqu’un me l’avait dit, quand j’étais là-bas, à Palma, et que tu montes sous la mansarde… Avec les nids d’hirondelles sous la charpente du toit, tu te souviens ? Qui s’envolaient dans la maison.. tant de fois devant notre visage… et mes beaux pots de basilic à la fenêtre… Et madame Anuzza, madame Anuzza ? Notre petite voisine ? que devient-elle ?
Micuccio : Eh… (il fait le signe de croix avec deux doigts pour signifier : morte !)
Marta : Morte ? Eh, je m’en doute bien…Elle était déjà bien vieille…plus que moi…pauvre madame Anuzza…avec sa petite gousse d’ail… tu te souviens ? Elle venait avec cette excuse…de lui prêter une petite gousse d’ail, juste quand on passait à table…et…La pauvre ! Et qui sait combien d’autres sont morts hein ? À Palma… Ah! au moins, une fois morts, ils reposent là-bas, dans notre cimetière, avec leur famille… Alors que moi…qui sait où je laisserai mes os…Bon … allez, allez…n’y pensons pas !
(Dorina entre avec le premier plat et s’approche de Miccucio afin qu’il se serve.)
Oh, merci Dorina…
(Miccucio regarde Dorina, puis tante Marta, confus, gêné ; il lève les mains pour se servir, voit qu’elles sont sales du voyage et les baisse, plus confus que jamais.)
Ici, ici Dorina ! Je m’en occupe… C’est moi qui vais le servir… (elle s’exécute) Comme ça…ça ira, hein ?
Extrait de Limettes de Sicile de Luigi Pirandello.
L’étau, Limettes de Sicile, Le devoir du médecin, trois pièces nouvellement traduites par Mathilde Dri, s’inscrivant dans le premier volume de l’intégrale du théâtre de Luigi Pirandello (en cours de traduction) que nous sommes heureux de présenter.